« Sur le chantier, j’étais devenu une grosse poussière »

« Sur le chantier, j’étais devenu une grosse poussière »

Les ouvriers du bâtiment sont particulièrement touchés par les maladies respiratoires. Pendant son stage en maçonnerie, Thomas a pu constater que, malgré les risques de plus en plus connus, les salariés du secteur étaient davantage exposés que protégés.

Je m’appelle Thomas, j’ai 18 ans et je suis actuellement à l’E2C Nîmes. En ce me moment, j’effectue un stage dans le domaine de la maçonnerie traditionnelle. En arrivant dans l’entreprise, j’ai commencé par observer la rénovation d’un mas (maison de campagne du Sud de la France).

Le premier jour, je me sentais asphyxié en travaillant sur le chantier : la pollution issue du ciment, la fumée, le placo et le fer qu’on lime… impossible de respirer. Et à la fin de la journée, il faut nettoyer. Ca fait encore plus de poussière. Je me sentais sale, j’avais l’impression d’être moi-même devenu une grosse poussière. Malgré tout ça, ni le patron, ni les employés ne mettaient de masques et de gants. Tout le matériel de protection restait dans une boîte fermée dans la voiture du patron. Les premiers jours, je le trouvais dur le patron, pas commode. Il ne me répondait pas toujours quand je le saluais. Alors bien sûr, j’ai pas osé demander les protections dès le début.

« Fais attention à ces produits, préserve-toi »

Rapidement, j’ai demandé des lunettes pour protéger mes yeux de la fumée. Deux jours après, je demandais le masque. Les autres, eux, ne prenaient pas soin de leur santé. Les employés respiraient de grandes quantités de poussière.  J’ai même vu quelqu’un mélanger le ciment à la main. J’estime que les entreprises ne protègent pas leurs salariés. Sans équipements de sécurité, les métiers du BTP sont dangereux pour la santé.

Mon père était légionnaire. J’avais 13 ans lorsqu’il a commencé à développer son premier cancer des poumons. A l’époque, il protégeait les bateaux des pillages de pirates au large de la Somalie. Mais c’est avant, sûrement lors d’un déploiement en Irak pendant la guerre du Koweït, qu’il a respiré des gaz chimiques toxiques qui ont été à l’origine de sa maladie. Il a touché une prime pour ça et m’a même montré les papiers de la Légion qui reconnaissait sa maladie. Quand il était malade et encore en vie et qu’on faisait la peinture dans ma chambre, il me disait : « fais attention à ces produits, préserve-toi ». Et je sentais bien que c’était lié à sa maladie.

15 % des cancers respiratoires liés au travail chez les hommes

J’ai cherché des chiffres pour voir l’étendue des maladies professionnelles et surtout respiratoires, dans le secteur du bâtiment. Je n’en ai pas trouvé beaucoup. J’ai lu qu’il fallait arriver à prouver qu’une maladie est due au travail et pas à d’autres facteurs. Il y a quand même plusieurs maladies spécifiques au secteur du bâtiment : l’infection à la Legionella, l’asthme professionnel, la pneumopathie d’hypersensibilité, la fièvre par inhalation. Dans un rapport de l’European Lung Foundation qui date de 2013, j’ai lu que les expositions aux particules, aux gaz, aux émanations ou à la fumée sur le lieu de travail sont responsables de 15 % de tous les cancers respiratoires chez les hommes et 5 % chez les femmes.

En réalisant ce sujet, j’ai appris qu’en France on avait un gros problème de prévention et d’information des employés qui travaillent dans des secteurs à risque, comme le bâtiment, l’industrie, l’automobile. C’est ce qui s’est passé avec l’affaire de l’amiante, ce matériau isolant qui était utilisé partout et surtout dans la construction. Aujourd’hui encore, on parle de 2 200 cancers des poumons, des ovaires, du larynx de travailleurs ou travailleuses qui y ont été exposés sans équipement de sécurité.

Voilà pourquoi je ne trouve pas normal que sur un chantier, un stagiaire comme moi ne soit pas informé et ne soit pas protégé. Je pense que l’Etat et les entreprises privées doivent prendre leurs responsabilités. Ce n’est pas normal de laisser des ouvriers travailler avec des produits toxiques et les laisser risquer leur vie.